- Dis papa, ça veut dire quoi "syndicaliste" ?

Un petit matin ordinaire, en l’an 2050. Kevin, 12 ans, interroge son père à propos d’un mot qui a disparu du langage courant.

- Dis papa, ça veut dire quoi, « syndicaliste » ?

Le père de Kevin avale son café de travers, s’étrangle :

- Bon sang, mais où vas-tu chercher des mots pareils ??

- C’était écrit dans un livre…

- Eh bien méfie-toi de tes lectures ! Et d’ailleurs, parle moins fort, on pourrait nous entendre…

(Le père de Kevin tourne un regard inquiet vers les écrans qui recouvrent chaque mur de la cuisine. Mais le fiston s’impatiente.)

- Dis papa…

- Bon, si tu veux vraiment savoir, un syndicaliste, c’était un type pas fréquentable.

- Pourquoi ?

- Déjà, il paraît que ces gens-là buvaient beaucoup. Ensuite, c’étaient des types qui n’aimaient pas travailler. Ils cherchaient toujours des poux dans la tête des patrons pour cesser l’activité et descendre crier dans la rue.

- Pourquoi ?

- Ah, ça, je l'ignore… Ils s’imaginaient sans doute que s’ils criaient assez fort, quelqu’un les entendrait et s’intéresserait à je ne sais quelle "cause"… Ou alors, c’était seulement un prétexte pour prendre l’air, se promener… En tout cas, ils faisaient un peu peur, ces gueulards dans la rue : il fallait envoyer les CRS pour les contenir et même les molester, au cas où. Un bon coup de flashball dans l'oeil, ça calme !

- Pourquoi ?

- Vois-tu, non seulement ils paralysaient leur activité, mais en plus, ils pouvaient bloquer tout un boulevard, un quartier, une grande ville… Tu imagines l’argent qu’un pays pouvait y perdre ? Ce n’était pas très sérieux. Mieux valait leur rentrer dans le lard.

- Mais papa, pourquoi auraient-ils voulu paralyser toute une ville, au risque de se faire taper dessus ? Qu’est-ce qui les poussait à ça ?

(Le père de Kevin, exaspéré, soupire et commence à chuchoter.)

- Ils prétendaient n’être pas satisfaits de leurs conditions de travail. Parfois même, ils voulaient défendre les conditions de travail des autres… De quoi se mêlaient-ils ! A l’époque, comme maintenant, nous avions déjà des patrons et des ministres largement compétents pour réfléchir à ces questions et savoir ce qui était bon pour les travailleurs et la productivité. Au final, les syndicalistes ne servaient pas à grand-chose sinon à faire perdre de l’argent aux patrons et, par conséquent, à tous les citoyens. Comment pourrions-nous vivre sans patrons fortunés capables de prendre les bonnes décisions, je te le demande ! Tu comprends maintenant pourquoi ces fameux syndicalistes ont disparu : ils étaient inutiles, improductifs, et soiffards par-dessus le marché.

Kevin, comme toutes les têtes dures de son âge, ne semble pas très convaincu. Mais son père, regardant l’heure, coupe brusquement court à la conversation :

- Mon dieu, déjà six heures ! Allez file au boulot, tu sais très bien que tu risques une mise à pied si tu arrives en retard !

Le jeune garçon, inquiet, saisit prestement son sac et sa gamelle, avant de glisser un livre dans la poche arrière de son bleu de travail.

- Hé là, qu’est-ce que tu fabriques avec ça ? Ta pause déjeuner ne dure qu'un quart d'heure, tu ne vas pas perdre ton temps à lire des bêtises, hein. Et puis s’il y a le mot syndicaliste dedans, c’est que ce n’est pas une lecture très recommandable…

*

Epargnons Kevin et signons la pétition pour l'amnistie des syndicalistes !